jeudi 9 avril 2020

Des milliers de nuances de vert


        Vivement la nature...!
       Voilà ce que je pensais, il y a quelques semaines. Le nez sous l'aisselle d'un jeune homme, la jambe gauche régulièrement cognée par la sacoche d'un homme d'affaire, je suivais l'itinéraire de millions de personnes. Je traversais Paris en métro. Allant du domicile familial dans mon nord natal, à mon -plus si nouveau- chez moi, sur l'île de Ré.

        Même si ma nouvelle profession m'avait fourni l'étiquette verte dont je rêvais depuis si longtemps (je travaille pour une association de protection de la biodiversité), je manquais cruellement d'extérieur passant le plus clair de mon temps assise à mon bureau durant cet hiver pluvieux!

Pluviers argentés dans une Longue vue,
Réserve Naturelle de Lilleau des Niges, Février 2020

        Quelle ironie quand j'y pense!
        Certes il a plu des semaines, voire des mois pendant cet hiver classé le plus chaud depuis 1900. Mais après tout, ce n'était pas cela qui nous empêchait de mettre le nez dehors. Quand je suis en vacances, une averse ou une météo maussade ne m'ont jamais contraint dans un logement. Bien au contraire, la nature laisse toujours exploser ses senteurs sous une bonne pluie. Au moins, la nature elle en a profité, enfin tout du moins les plantes.

        Revenue à mon train-train quotidien, voiture-boulot-voiture-appart, je laissais à nouveau la nature à mes escapades mentales, et à quelques sorties nature avec mes collègues sur le terrain. Et en toute logique, une fois le week-end arrivé, bien souvent, trop fatiguée de mes activités en intérieur, je décidais de ne pas sortir: "J'aurai bien le temps plus tard".

- Le Temps du Confinement -


        Autour de moi, dans mon salon, les notes de vert sont bien peu présentes. C'est le propre des meublés : murs blancs, canapé noir, portes grises.
        Seul le placard d'angle, très original lui, et en bois brut, apporte un peu de vie à cette pièce. Il a une âme ce bois avec ses veines et ses nervures bien apparentes. C'est visible, le bois n'a pas été découpé pour définir de belles planches aseptisées vendues en grandes surface. Cet ancien arbre se profile et prend vie sous nos yeux imaginatifs.

Extrait de la toile de Maurice Pantini

        Ma carte géologique de Nouvelle-Zélande apporte les seuls tons de vert de mon champ de vision. De multiples petites taches renvoient à deux carrés dans la légende. La plus grande zone, du même vert que de nombreuses autres petites formes, ce sont les Catlins. Ce vert représente les roches crée sur la période crétacé-tertiaire, des marnes, des calcaires, des argiles. Un des exemples que l'on peut citer par comparaison en France, ce sont les falaise crayeuse du Pas de Calais! Cette craie crée au crétacée correspond à la période de temps qui a connu la fin des dinosaures, mais ça c'est une autre histoire!! L'autre nuance verte n'est présente qu'en de toutes petites zones émergeant parmi les roches sédimentaires. Elle renvoi à des roches magmatiques porphyrique, comme la serpentine. Plus simplement, c'est une roche issue du volcanisme et de couleur verte. L'un des exemples connus est la fameuse Jade de Nouvelle Zélande!
        Je continue à balayer du regard la pièce qui m'entoure. Un casque audio. Ma carte du monde à gratter sur le règne animal. Ma gourde. Dans ma mini bibliothèque se profilent quelques tranches de verdure, un recueil de poésie ramené de Bristol, le côté de la boite de scrabble de mon enfance, celle que ma mamie m'a offert quand les cases sont devenues inutiles, et un livre déjà emballé prêt à être offert à mon neveu. Juste au dessus, sous ma télé, trône le buddha en jade de Chine ramené de Hong-Kong. Puis viennent les herbes fleuries de Skomer Island, restituées en aquarelle par ma maman il y a quelques années. Les palmiers du coussin sur lequel je m'avachi et qui dépasse à peine de mon épaule. Et au dessus de l'autre épaule, les bambous qui m'entourent sur ce portrait. Ils recensent quant à eux une infinité de verts!

        Je me rend alors compte que la quasi totalité de mes objets portant du vert renvoient à la nature. Quand on aime quelque chose, on ne s'en sépare jamais!

Mes immortels compagnons végétaux


        Et, la vie dans tout ça? Et les plantes dans tout ça? Et bien, elles sont bien peu présentes. Le sens du devoir qui nous a poussé à nous cloitrer chez nous ne m'a pas laissé le temps de passer à la pépinière. Alors je me contente d'une amie, fidèle et survivant au manque d'arrosage. Quand les autres ont trépassé pendant mes absences, elle, ne m'a jamais laissé tombé depuis mon installation ici.

- le Temps des Balades -


        Plus de pesticides. Plus de fauches. C'est le temps des herbes folles! Pour le plus grand plaisir de ceux qui peuvent les observer.

Le Tircis (Pararge aegeria L. ssp. aegeria)
profite du soleil sur les bas-côtés

        Dans les champs qui environnent mon village, les grandes bâches blanches on ne peut moins gaies ont laissé place à des buttes bien alignées. Au sommet, bien régulières émergent de petites pointes vert sapin. Parfois, plus développées, on y voit de belles feuilles. Plus grandes, elles paraissent aussi plus claires. Ce sont les fameuses pommes de terre de l'ile de ré qui pointent le bout de leur nez.
        Moins connus du grand public, le Maceron cultivé (Smyrnium olusatrum) prolifère en ce début de printemps. Il est impossible de le louper sur l'ile de Ré, c'est en véritable nuancier de vert qu'on le retrouve partout le long des pistes cyclables et des marais salants. Cette année, il a poussé si vite que j'ai parfois l'impression que les pieds ne s'arrêtent plus de grandir.

A cette saison, le Maceron borde tous les chemins

        Ces jours-ci, seuls les propriétaires de jardin sont autorisés à lézarder au soleil. Et puis, il y a ceux qui n'ont pas de titres de propriété et qui donc sont partout chez eux, les animaux! La diminution des activités humaines, et donc de la présence humaine leur laisse le champ libre, y compris dans les villages et à proximité des habitations où ils se font parfois discrets. Avec la diminution des activités humaines est venue l'amélioration de la qualité de l'air et de son audibilité! Il parait même plus dur de repérer un oiseau qui chante tant on a l'impression de l'entendre de si loin! Les oiseaux chantent à tue tête et les lézards prennent le soleil. Pas de doutes, le printemps est bien là!

Le lézard des murailles,
pin up des ruelles calmes et ensoleillées de l'ile de Ré


- Le Temps du Souvenir - 

       En ces temps perturbés où nous sommes partiellement voire totalement coupés de la nature, je reste persuadée que notre meilleur chemin d'accès à un paradis verdoyant reste notre mémoire. Que ses chemins tortueux vous aient emmenés vers les tréfonds de l'enfance ou vers les plus proches paysages de voyage, il y a fort à parier que vous avez des souvenirs liés aux arbres et aux plantes.
       Notre mémoire est spectaculaire! Alors que je n'avais pas pensé à cet arbre depuis des années, la seule évocation de l'enfance m'a fait tout de suite pensé à celui dont je parlais fièrement à mon père en disant que c'était mon arbre préféré! L'arbre américain, comme on l'appelait chez moi. Je n'ai su son vrai nom que bien plus tard! Cet arbre, c'est le sumac (Rhys thyphina) avec ses merveilleuses couleurs flamboyantes à l'automne et son bois duveteux que j'aimais tant.
        L'autre arbre qui a bercé mes jeux au jardin, ne se faisait pas remarquer à la même saison. C'est au printemps et bien avant que la moindre feuille n'ait émergée de ses branches qu'il se décidait à peindre le ciel qui me surplombait et la terre qui l'avait vu grandir en rose. Majestueux prunier du Japon (Prunus cerrulata ssp Kanzan) était la pièce maitresse du jardin de mon grand-père.
        La plante symbole du jardin de ma grand-mère est toute autre. Il ne faut pas se laisser abuser par les jolies petites clochettes blanches et aériennes de cette petite plante qui tapissaient tous les parterres de ce jardin de ville dès la fin avril arrivée. Non! Ni même par son odeur forte et enivrante, car le muguet est une plante toxique.
        Mes souvenirs d'enfance me ramènent également à la roseraie de mon parrain, aux merveilleuses couleurs ainsi qu'aux subtiles senteurs d'un jardin que j'ai malheureusement trop peu parcouru.

Souvenir de Paysage, à l'autre bout du monde


        Même s'il est appréciable de se rappeler les premières plantes marquantes de mon enfance, ce ne sont pas elles qui me viennent spontanément! Non, je pense plutôt aux magnifiques paysages verdoyants à pertes de vues, aux forets pluviales et aux arbres immenses, uniques et remarquables que j'ai vu loin de chez moi!


        Nos voyages font partis de nous, ils nous ont construits. Mais n'oublions pas qu'en ce moment même nous nous construisons aussi. Chaque instant d'une situation, aussi étrange qu'elle soit, nous élève! Alors regardons autour de nous, même si nous sommes dans un appartement, surtout si nous sommes seuls, passons la tête par la fenêtre et écoutons la nature! Remercions là! Car à chaque bourdon qui passe, à chaque oiseaux qui chante c'est la vie qui s'exprime, et ça c'est inestimable.