jeudi 30 août 2018

Le Kauri et la Baleine


        Ça sonne comme un conte pour enfant non? Ce n'en est pas un. Mais le parallèle pourrait facilement être dressé entre nos contes occidentaux et les légendes maories. Certains me l'ont déjà dit avec ironie : "les Maoris, ils ont une légende pour tout". Moi, je ne le pense pas de façon négative! Bien au contraire, je trouve que certaines légendes expliquent si bien les choses.
        Honnêtement, je n'avais pas prévu d'écrire un autre article sur les kauris, ce n'est d'ailleurs pas vraiment le but de cet article! Mais dimanche dernier, je suis allée me balader sur la "Kauri Coast" dans le Northland. Je suis allée y saluer les plus beaux spécimen du pays. Là, j'ai rencontré Conrad. Fier de ses origines, ce jeune homme fait partie de la tribu "Te Roroa". Sa famille descend des premiers Maoris qui ont peuplé la région et il connait sa généalogie sur 15 générations. C'est lui qui m'a fait découvrir la légende que je m’apprête à vous raconter.

La création, selon les maoris

        La première légende, je vous l'ai déjà présentée brièvement dans un de mes premiers articles : Protéger les Kauris. Elle raconte comment Tane Mahuta, le dieu de la forêt a sauvé ses frères en séparant Ranginu (le père ciel) de Papatūānuku (la mère nature) permettant ainsi à la vie de venir coloniser la terre. Séparée de l'étreinte de son amoureux, il fallu que Tane Mahuta trouve une solution pour réchauffer sa mère. Il créa donc la forêt. Et pour la garder heureuse, il créa les oiseaux. 

        La légende que Conrad m'a racontée, c'est la suite de cette histoire. J'ai été impressionnée par son récit, mais je dois avouer ne pas avoir réussi à retenir tous les détails (surtout les noms Maoris, que j'ai toujours du mal à mémoriser!). En voulant vérifier quelques détails de cette légende, je me suis rendue compte que contrairement à la légende de la création, qui semble n'avoir qu'une version reconnue de tous, celle-ci est plutôt controversée. En fait, il n'y a pas une version sur laquelle tout le monde s'est entendu. Chaque tribu la raconte donc avec des variantes. Je vais me contenter ici de transposer ce qui m'a été raconté et pour les variantes, je vous invite à consulter les liens en bas de page.

Après la forêt, la baleine

        Un jour, Tane Mahuta se décida à créer la plus grande créature qui existe : Tohorā, la baleine. Impressionnante et belle, il voulait la garder pour lui. Mais un jour, il voulu narguer son frère Tangaroa, dieu des océans, créateur des poissons. Tangaroa, envieux, voulu obtenir la baleine, il trouva les arguments pour que son frère approuve :
"Regarde ta baleine, elle est malheureuse, elle ne peut pas bouger. Elle n'a pas de pattes pour marcher. Elle n'a pas d'ailes pour voler. J'ai la solution! Regarde mes poissons, ils se déplacent sans pattes et sans ailes dans mon océan. Ta baleine, elle, est bloquée sur la plage." 
        Alors Tane accepta, et laissa la baleine aller dans l'océan. La baleine s'y plu et décida de ne plus retourner dans la forêt.


        Frustré que son frère ait réussi à récupérer Tohorā, Tane se décida à créer une autre créature, aussi grande que la baleine. Il créa le kauri, et pour éviter que son frère ne le vole lui aussi, Tane le cacha au milieu de la forêt.
        Tohorā était heureux de vivre dans la mer, mais il finit par s'ennuyer. Ses amis lui manquaient. Aussi, il vint sur la plage et appela les oiseaux et les arbres de la forêt. Mais personne ne vint! Si admiratif du merveilleux kauri, ils restaient tous au cœur de la forêt. Tohorā, déçu que ses frères et sœurs ne l’accueillent pas comme il se devait continua à appeler. Les oiseaux finirent par venir le voir et il expliquèrent qu'ils avaient trouvé un nouvel ami depuis son départ, majestueux et aussi grand que la baleine! Tohorā voulu voir ça, alors les oiseaux le portèrent jusqu'au kauri. Il découvrit son frère avec admiration, aussi gros que lui et très beau. Alors, il dit au kauri : 
- "Tu es aussi massif que moi, tu ne peux pas vraiment te déplacer dans la forêt, tu devrais venir avec moi! Je vis dans l'océan et là bas je peux me déplacer sans contraintes! Viens, tu vas adorer!".
        Le Kauri accepta et il parti en mer. Tous les deux, ils s'amusèrent dans l'océan. Le kauri adorait se déplacer dans l'eau et la baleine pouvait jouer avec lui. Mais au bout d'un moment, le tronc du kauri et son feuillage commencèrent à dépérir. Alors il retourna vivre dans la forêt. Tohorā, qui vint plusieurs fois chercher son frère sans succès, finit par trouver une solution.
- "Kauri, revient avec moi dans l'océan. Je ne veux pas vivre sans toi."
- "Non, Tohorā, je ne peux pas vivre dans l'océan. Mon tronc pourri avec l'eau, je vais mourir"
Tohorā enleva toutes ses écailles et les offrit au kauri pour le protéger de l'eau.
- "Cette fois, tu es protégé, viens avec moi!"
- " Non, mon tronc est protégé mais mes branches sont encore nues. Je ne peux pas vivre dans l'eau!"
Tohorā retourna dans l'océan et demanda à tous les dauphins et tous les requins de leur donner leurs écailles. Puis, il revint sur terre et les donna au kauri pour qu'il puisse protéger ses branches.
         Finalement, le kauri que Tane avait créé pour la forêt décidera de rester y vivre avec ses frères et sœurs : les autres arbres et les oiseaux. Il continua ainsi à étreindre sa grand mère avec ses bras (les racines) et à repousser son grand père de ses pieds. C'est ainsi que le Kauri développa ses racines et se planta dans la forêt Néo-Zélandaise devenant ainsi le plus beaux de tous les arbres. Mais, en souvenir de ses aventures, il garda les écailles de son frère pour se protéger. La baleine, elle, retourna vivre dans l'océan avec son oncle.

La morale de l'histoire

        Tout le monde ne comprendra certainement pas, mais cette légende m'a fascinée! Pour une raison en particulier : cette légende explique de nombreux points. Ce qui démontre des observations particulièrement fines de la part d'un peuple vivant en adéquation avec la nature.
        Les maoris, ayant observé que la baleine était un animal qui vivait dans l'eau mais utilisait une respiration aérienne en ont déduit qu'elle vivait autre fois sur terre. Ceci correspond à la théorie de l'évolution qui attribue un ancêtre commun aux mammifères marins qui était terrestre. C'est leur hypothèse du "retour à la mer" si on peut extrapoler jusque là!
        Ils trouvent également une jolie explication à la peau des mammifères marins et requins sans écailles contrairement aux poissons. En expliquant au passage l'apparence particulière du tronc des kauris.
        Enfin, dans l'histoire, le requin est rancunier du kauri qui ne lui a pas rendu ses écailles. Ce qui justifie le caractère agressif de ces derniers. Par contre, la baleine heureuse d'avoir aider son frère demeurera un animal amical, tout comme le dauphin!

Les arbres mytiques de la foret de Waipoua

        Il y a assez peu de kauris qui sont mis en valeur dans la forêt. La plupart sont juste dispersés et si vous savez les reconnaitre vous en croiserez régulièrement au détour d'un chemin. Mais trois, ou plutôt six, des kauris de la "Waipoua Forest" sont immanquables!

  • Tane MahutaLord of the Forest
    Icône Néo Zélandaise de réputation mondiale, selon les Te Roroa, C'est celui qu'il ne faut pas rater. Tout le monde dans le nord du pays vous invitera à aller le voir. Son age est estimé à 2000 ans [1250-2500 ans]. Avec une hauteur totale de 51,5m, c'est le plus grand de tous. Son tronc lui fait plus de 4m de diamètre et a circonférence de 13.77m.

Seule avec le géant de la forêt, Tane Mahuta
Celui qui porte le nom du créateur de la forêt


  •  Te Matua NgahereFather of the Forest
    L'avantage c'est qu'il se trouve vraiment au cœur de la forêt. On le découvre donc après avoir traversé une partie de celle ci! C'est le plus vieux et le plus large des kauris dans le monde. Son âge est estimé à 3000 ans. Le diamètre de son tronc est de plus de 5m avec une circonférence de 16.4m. Son tronc est beaucoup plus petit car la canopée de cet arbre s'est effondrée. Ses branches les plus grandes culminent à 29.9m. Il est si massif que le volume total de bois (208m3) n'est que légèrement inférieur à celui de Tane Mahuta (244m3).

Te Matua Ngahere, le plus imposant de tous les kauris


  • The Four Sisters
    Âgés de "seulement" 500 ans, ce n'est pas leurs âges qui leur confèrent un attrait particulier! Il s'agit de quatre kauris dont le base des troncs a fusionné. Ceci pourrait paraitre anodin. Mais en fait, cette espèce est extrêmement compétitive. Deux arbres ne peuvent normalement pas coexister côte à côte, ce qui laisse supposer que les 4 graines viendraient de la même fleur. Pour croitre tous ensemble, leur cime n'a développé des branches que vers l'extérieur et comme tout être vivant, ils se ont grandit à leur rythme et n'ont donc pas la même taille. Elle dépend de leur position face au vent et à la pluie.

Les "4 sisters" et leur troncs à "écailles" si typique

        Des monstres en dimensions, mais des arbres ravissant qu'on ne peut qu'être heureux d'avoir la chance de pouvoir admirer.


Poursuivre vos lectures :

jeudi 23 août 2018

Napier, au cœur de l’Hawke’s Bay


        Ville balnéaire sur la côte est de l’île nord, Napier est un incontournable pour les amateurs d’architecture, de Vintage et de rétro. Ce ne sont pas seulement les maisons construites dans les années 30 qui attirent les touristes mais toute l’ambiance qui règne en ville ! Boutiques vintage, vieilles américaines (des voitures évidemment) et tout les ans, un festival printanier qui attire des milliers de touristes. Napier est, selon ses habitants, la capitale mondiale de la Belle Époque. Rien que cela ! Ça valait bien la peine de s’y arrêter.


Le bâtiment de la compagnie du tabac,
une des icônes de la reconstruction art déco à Napier

Une histoire riche

        Même si ce n'est pas l'objet de cet article, il faut savoir que nombre de lieux dans l’Hawke’s Bay sont liés à des légendes maories. Napier était déjà un port de pêche pour les premiers Maoris. L'abondance des poissons et la lagune en firent un arrêt fréquent lors des déplacements vers le sud. On dit d’ailleurs que cette partie de la côte rappelle la forme de l’hameçon utilisé par Māui pour attraper l’ile nord (le poisson, cf article sur Stewart Island).


location de l' Hawke's Bay, sur la côte est de la NZ
lien vers la carte en ligne :

        Aujourd'hui, la topologie de Napier a tellement changé qu’il est difficile d’imaginer les lieux qui formaient autrefois la vaste lagune appelée Ahuriri. Une chose est sûre, la légende qui lui attribue son nom est liée à Tu Ahuriri, fils de Tu Maro (chef de la tribu Ngai Tara). Il passe ici en allant chercher des jades (les greenstones) dans le sud. L'accès au port est bloqué ce qui fait monter le niveau de l'eau et menace les cultures et certains coquillages. Il créa le passage qui constitue aujourd'hui le port de Napier.
        C'est le capitaine Cook (encore lui!)  qui sera le premier européen à passer à Napier en 1769. Puis un français, Jules Dumont D’Urville, explorera les côte de la baie de Hawke en 1827. Mais l'arrivée des colons ne se fera qu'en 1839 avec l'installation des premiers baleiniers. En 1851, un accord entre chefs maori et le Gouverneur anglais permettra l’achat de terres par des colons qui aboutira à la création de Napier. Sir Charles Napier, qui a participé à la campagne des indes, donnera son nom à la ville rappelant ainsi la toute puissance coloniale de la Grande Bretagne.

Dans les année 1970, Ahuriri se construit
on y trouve de belles villas de l'époque Victorienne

Un tremblement de terre qui a remodelé la ville

        3 février 1931, 10h46, la région connait le plus gros tremblement de terre de son histoire. Deux minutes et trente secondes interminables d’ondes sismiques d’une magnitude de 7.8 sur l’échelle de Richter. Au total, 674 répliques sont dénombrées. Elles causeront la terreur des habitants et les dissuaderont de retourner en ville. Évidemment, c’est toute la baie qui est touchée. Au total, 256 morts, 3000 blessés et 11000 évacués. Napier est dévastée, pas tant à cause des secousses qui n'auront détruites que 26 maisons (le bois résistant bien), mais surtout d'un incendie qui suivra le tremblement de terre.

    • Un peu de géologie
      • La Nouvelle Zélande est à cheval sur deux plaques tectoniques : la plaque pacifique et la plaque australienne, ce qui en fait une zone de haute activité sismique et aussi volcanique.
      • Concernant l’ile nord, la plaque pacifique glisse sous la plaque australienne, c’est ce qu’on appelle la subduction. Le mouvement plus rapide de la plaque pacifique vers le nord ajoute une contrainte qui participe aux tremblements de terres. 
      • Le frottement de ces plaques crée parfois des points de ruptures d’énergie c’est ce qui provoque les tremblements de terre. 


         On dit de la ville qu'elle est morte, mais les habitants ne l'entendent pas de cette oreille. Faisant fi de l'opinion générale, ils vont tout faire pour qu'elle se relèvent. Les énergies sont canalisées et la ville va renaître de ses cendres.
        C'est presque immédiatement que les travaux de reconstructions commencent. Dès le 21 février, un comité spécial est créé par le gouvernement. De nouvelles règles sont imposées pour la sécurité face au risque sismique: structures renforcées (béton armé, lignes électriques et lignes de communication enterrées et l'élévation des bâtiments est limitée à deux étages. Tout ceci participera aussi au caractère particulier de la ville.

La bibliothèque, bâtiment préféré de mon guide du jour, Murray

        Une fois les gravats déblayés tout s'organise très vite. Le style choisi est le style Art Déco, le plus en vogue à l'époque. Né en Europe, on trouve des exemples de ce style dans le monde entier, pour exemple, le Chrysler building à Manhattan. L'inspiration américaine est très forte ce qui concorde avec la formation des architectes choisis comme Louis Hay, formé à l'école de Chicago. On trouve donc beaucoup de battisses de style mission espagnole.
         On retrouve tous les éléments architecturaux typiques du style : zigzag, fontaines, soleil levant, etc. Et, pour s'adapter parfaitement au pays des motifs maoris sont également utilisés. La ville deviendra extrêmement colorés. Toutes sortes de couleurs sont utilisées pour teindre le béton dans la masse qui avec les vitraux et les ferronneries donneront leur caractère si particulier à la ville.

Quelques détails de l'architecture : formes géométriques, luminaires, travail
du verre et du métal, plafonds à caisson, sculptures en façade



        Les témoignages de l'époque disent que non seulement la ville n'a pas disparu, mais qu'elle a obtenu un supplément d'âme!

Un Patrimoine chéri par ses habitants

        Évidemment, la nouveauté et la modernité ne dure qu’un temps. Alors cette ville qui était dite « la plus colorée du monde » ou « la plus moderne du monde » après les reconstructions des années 30 est vite redevenue une ville « normale ». Dans les années 1980, on commence à abattre des maisons art déco du centre ville pour construire des bâtiments à l’architecture novatrice. Cela aurait pu passer inaperçu, mais rapidement un groupe d’habitants s’est forlé pour défendre le patrimoine Art Déco si spécial et seuls 4 bâtiments du centre villes furent perdus. Suite à cela, le "Art Deco Trust" fut créé.
        Aujourd’hui, leur volontaires animent des visites guidées (on peut également opter pour une visite libre si l’on achète un petit livret) permettant de découvrir les particularités architecturales de cette ville de bord de mer. Un circuit art déco en ville, évidemment, et un chemin « heritage trail » autour du port. L’accent est aujourd’hui mis sur les bâtiments les plus anciens qui ont été conservés : les « survivors » comme on appelle les bâtiments ayant résisté au tremblement de terre ou les bâtiments de la reconstruction.

Knox church, construite en 1896
C'est la plus ancienne église de Napier encore en activité, un des survivors de Ahuriri



En apprendre plus :
https://www.hawkesbaynz.com/see-and-do/art-design-and-culture/the-art-deco-guide/the-origin-of-deco-in-hawkes-bay/
https://www.artdeconapier.com/
https://www.mtghawkesbay.com
https://www.newzealand.com/us/napier/